Narguilé # 2

Souviens-toi de l’histoire de ce pianiste de bar.
Il joue son répertoire et les clients demandent au patron : «et si on mettait un peu de musique maintenant ? »
C’est vexant pour le pianiste sauf qu’il est sourd. Alors il s’en cogne.
Il part et il revient. Le lendemain il joue son répertoire, ou son nouveau répertoire.
Il n‘entend ni n’écoute ce qui se dit et continue de jouer.
Le bar se vide, se remplit à nouveau, les clients se succèdent comme dans une rame de métro.
Ils rentrent, ils sortent, ils boivent, s’endorment parfois sur les tables. Il leur arrive de se disputer de se battre.
Ils se hurlent à l’oreille des secrets, des insultes, des ragots, des pronostics. Les jours passent.

Le pianiste continue à jouer comme en silence dans l’indifférence générale ses petites mélodies idiotes, ses harmonies bancales.
Parfois il rabat de couvercle de son instrument pour regarder ce qui se passe dans la salle. La plupart du temps il compte les mesures.

On l’attend ailleurs, il sort du bar. Ca dure des heures.
L’instant suivant il revient soulève le couvercle et se remet à jouer comme un sourd encore.
Un jour il se souvient avoir actionné son enregistreur. Il réécoute la bande. La bande s’écoute avec les yeux. C’est une sorte de Braille.
Il réentend tout ce qui lui était passé par les doigts. Ca ne ressemble à rien de connu.
C’est comme une écriture spéciale.
C'est une écriture musicale pour un instrument qui n’existe pas encore…

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